31 déc. 2012

Goodbye Olivier

Pour ceux qui seraient passés à côté, le blog « Un Olivier sur un Iceberg » est LA référence francophone pour suivre l’actualité scientifique du bégaiement.

Nouvelle conséquence du réchauffement climatique ?

Ou simple lassitude ?

Quoi qu’il en soit, après plusieurs années au service de la cause, Olivier a décidé de quitter son iceberg et de nous laisser nous dépatouiller pour traduire les rapports des américains et des chinois. En tant que collègue blogueur, je respecte cette décision (de toutes façons je n’ai rien à dire !) et je la comprends.

Mais comme le breton a bon fonds, il nous a laissé en guise d’au revoir ( ?) un résumé de ce que nous savons à l’heure actuelle sur le bégaiement. Une quintessence de la connaissance en 4 pages qui devrait faire gagner du temps à beaucoup de monde ! C’est un cadeau précieux que nous fait Olivier et je compte sur vous pour le diffuser largement.

C’est l’occasion pour l’ensevelir sous les remerciements pour tout le travail et l’énergie dépensés pour faire passer l’information. ! A titre perso, je le remercie aussi pour son soutien et ses commentaires réguliers depuis que j’ai créé ce blog. Merci Olivier !

Mais quand même, il n'y a pas que les souris qui vont être tristes...



ESSAI DE RESUME DES DONNEES ACTUELLES DE LA RECHERCHE SUR LE BEGAIEMENT... 
par Olivier...plus trop sur son Iceberg. 

NB : La version pdf de l’article est téléchargeable ici.


Avant la fermeture de la page Facebook dédiée à mon blog, Cédric et Laurent, incontestables poids lourds du web et du monde bègue, m'ont proposé de faire un article de synthèse sur les recherches actuelles sur le bégaiement. Comme ils m'ont menacé de mettre en ligne une photo de moi en pyjama Hello Kitty, je vous propose ici un compromis : je vais vous décrire comment moi je visualise la chose, après cinq années passées la tête dedans. Parce que je ne peux en aucun cas prétendre écrire une synthèse objective sur ce sujet. 
Alors j'y vais.
Hum.

Lorsque nous tombons sur un article scientifique sur le bégaiement, lorsque nous entendons parler de gènes du bégaiement, ou de différences dans le cerveau bègue, nous avons souvent tendance à nous fixer sur un élément en particulier. Ce n'est pas, ce n'est plus mon cas. Au bout de cinq années passées la tête dans les rapports scientifiques, pour moi la recherche sur le bégaiement se présente comme une mosaïque. Ou un cercle composé par des éléments équidistants d'un centre, un peu comme les étoiles du drapeau Européen. Je pense à plusieurs choses en même temps. Je pense 'gènes', je pense aux données et aux hypothèses sur le cerveau, tout autant qu'aux conséquences émotionnelles, psychologiques qu'a le bégaiement sur nous. Je pense aux intentions des chercheurs, à leurs objectifs.
Et je m'abstiens d'espérer des miracles. 
C'est un peu comme ça que je souhaiterais que vous abordiez ces lignes.

Le premier élément de la mosaïque qui me vient est toujours : déconnexion. Peut-être par facilité, parce que ça me paraît concret... 
C'est quoi ? Eh bien, cette déconnexion a été observée à de maintes reprises par les chercheurs dans l'hémisphère gauche du cerveau des personnes bègues. Elle n'est pas très grande. C'est une diminution de ce que l'on appelle les substances grises et substances blanches (matière grise, matière blanche en langage pop !), une 'décohérence' (ça n'est pas foutu comme ça devrait l'être, et y a des câbles mal connectés entre eux) quelque chose a perturbé leur connexion normale. Chez toutes les personnes bègues examinées à l'imagerie magnétique par résonance, elle se trouvait à un endroit relativement précis, liée à la production de la parole, mais aussi à un endroit stratégique, un carrefour neural (ce sont à peu-près les mots de Sommer, dans son rapport pionnier de 2002). Pour ceux qui voudrait voir de leur yeux cet endroit, cherchez 'pars opercularis' ou 'opercule rolandique' en bas du sillon central sur le cortex. Et 95% de la population humaine utilise le cerveau gauche pour parler.
D'ou vient cette déconnexion ? Pour l'instant, elle a été aussi observée chez de jeunes enfants (Chang, 2006, Etats-Unis) de 9-12 ans. Alors ? Pourquoi ? Comment apparaît-elle ? Est-ce pendant le développement du cerveau ? 

Ensuite, il y a la surcompensation. Le cerveau essaye de rattraper cette déconnexion. Dans l'article allemand de 2009 "Comment le cerveau répare le bégaiement" (en Allemagne, il y a deux grosses équipes de recherche sur notre problème, qui ont fait des découvertes majeures. Celle-ci est conduite par Katrin Neumann, et on trouve une française dans l'équipe, Anne-Lise Giraud, cocorico) on nous dit que le cerveau utilise trois zones (aux noms à coucher dehors) dans l'hémisphère droit. Maiiiis alors c'est quoi cette réparation à deux balles, qui marche à moitié, monsieur le cerveau ? Hm ? 
Dans ce même article, ils nous disent avoir recruté des personnes 'guéries' du bégaiement sans aucune aide, aucune thérapie, aucune stratégie, à l'âge adulte, ce qui est très rare. Ils ont été interrogés et ont accepté une enquête médicale sur la véracité de leurs dires. Bref. Ces personnes (veinardes) ont été elles aussi examinées par IRM, et les chercheurs ont découvert une caractéristique intéressante : leurs cerveaux utilisent une zone juste à côté de la déconnexion elle-même, à gauche, au lieu d'utiliser le cerveau droit !
Sauf que...c'est plus compliqué que cela en réalité. Outch. Dans une autre étude, devenue célèbre, c'est l'activité de l'hémisphère droit qui a été associée à plus de fluence...eh oui. Les Allemands supposent que l'hémisphère droit est toutefois moins efficace, soit à cause de son éloignement du réseau de la parole, soit à cause des interférences interhémisphériques qui pourrait se produire le long de ce chemin de secours...c'est pour cela que ce secteur du côté gauche, à côté de la déconnexion, semble caractériser les guéris – vous avez tout compris. L'autre équipe allemande, celle de Martin Sommer (qui a fait une partie de ses études en France, re-cocorico) a aussi étudié l'inhibition et la facilitation. J'ai pas tout compris, mais à plusieurs niveaux, il se passe dans notre corps des phénomènes d'autorisation et de refus, à des niveaux moléculaires, et le cerveau n'y échappe pas. Dans le bégaiement, on dirait que la facilitation dans le cerveau est légèrement insuffisante. Ils ont aussi suggéré que le problème ne venait pas du cortex moteur...mais là je cale un peu (caler...moteur...humour. Hum) 

Quelqu'un d'autre que moi aurait sans doute commencé par ce qui est mon troisième point : les noyaux gris centraux (aussi appellés ganglions de la base ou ganglions basaux). Ces 'NGC' sont responsables des mouvements de fond, les mouvements 'que normalement, y a pô besoin d'y penser pour les faire'...normalement y a pas besoin de les contrôler (ça vous dit quelque chose, le surcontrôle ? Je suis sûr que oui...).
Un problème dans les NGC pourraient entraîner des conséquences sur le cortex, dont...la fameuse déconnexion à gauche. Vous y êtes ? 
Le suédois Per Alm (un monsieur pas très grand par la taille, mais quel cerveau, punaise) a utilisé une métaphore très frappante pour expliquer l'hypothèse qu'il y ait deux circuits de la parole dans le cerveau, une (voiture à moteur à combustion) pour l'autoroute = parole normale, d'échange, implicative si vous voulez, et une (moteur électrique pour la ville) pour les petits parcours= chant, imitation, accent, jouer un rôle...etc. Le moteur à combustion étant dans ce cas beaucoup plus fragile...
Ce qui est intéressant, et qui nous pousse nous, non-professionnels perplexes, à essayer de comprendre, c'est le phénomène que les personnes bègues connaissent tous, celui d'être fluent lorsque nous parlons en choeur (principe du Speecheasy), ou avec les oreilles bouchées (principe de l'Edimburgh Masker)...eh bien il est fort probable que c'est parce que cela aide ces noyaux gris centraux à s'appuyer sur un rythme. Lorsque le rythme est préprogrammé, tout va bien. Lorsqu'il appartient à notre cerveau de programmer le rythme tout seul, c'est la panique, c'est la suée, c'est la catastrophe. C'est le bégaiement. 

La dopamine (quatrième tête de l'hydre bégaiement ?) La dopamine est un des principaux neurotransmetteurs, une molécule qui circule librement un peu partout dans le cerveau. Mais, lorsqu'elle est en déséquilibre, cela peut entraîner des gros problèmes. Pour le psychiatre américain Gerald Maguire, spécialiste de la médication du bégaiement, le taux de dopamine est très élevé chez les enfants qui bégaient, et cela persisterait à l'âge adulte. Une de ses études a suggéré un taux de dopamine supérieur de 50% à 200% dans certaines zones des cerveaux bègues. Les généticiens Chinois ont eux suggéré un nombre trop importants de récepteurs de dopamines.

Et puis, il y a les gènes. En 2010, après un travail international acharné, et qui continue au moment ou j'écris ces lignes, une équipe de généticiens conduite par l'américain Dennis Drayna a identifié 3 mutations génétiques sur le chromosome 12, directement liées au bégaiement persistant, pour 10% des bégaiements familiaux. Je ne vais pas me lancer dans une explication ou je risque de me planter, mais j'ai tout de même compris que ces mutations sont en lien avec les 'poubelles de recyclage' présentes dans chacune des cellules de notre corps. Une hypothèse des chercheurs est que les cellules nerveuses de la production de la parole seraient plus sensibles à ce problème que les autres cellules du cerveau et du corps. Mais alors, est-ce que ces mutations entraînent la déconnexion ? Et pourquoi à cet endroit précisément et pas un autre ? Ou bien, est-ce qu'elles entraînent un problème dans le cervelet ou l'hippocampe, là ou on sait que ces gènes s'expriment fortement chez le primate et la souris ? 
Ce n'est qu'un début. D'autres gènes seront dévoilés, sur d'autres chromosomes. Mais quoiqu'on en dise, cette identification des premiers 'gènes du bégaiement' est un évènement. 

En 2012, les Chinois ont mis en évidence une modification du cervelet suite à une thérapie intensive. Pour la première fois, cela a été mesuré après une thérapie, mais pendant que les patients ne parlaient pas. On espère, le premier résultat d'une longue série. 

Ensuite, un peu en vrac (mais pas forcément moins important !) je pense en dernier : au corps calleux (Loucks, Chang), lien au centre et entre les hémisphères, qui subit des modifications en conséquence, à ces théories qui parlent de problèmes de liaisons neurales longue-distance (Chine).

Et puis il y a les médicaments, aux succès très variables et aux effets secondaires à surveiller, terrain sur lequel je ne m'aventurerais pas. Il y a eu l'espoir du Pagoclone, qui a échoué, relativement, puisque d'une part il a permis d'esquisser un sous-groupe de personnes bègues plus réceptives à ce type de molécule, d'autre part, il a fait de l'oeil aux industries pharmaceutiques.
Je ne m'étends pas non plus sur les cas cliniques de rétablissement total ou longue durée du bégaiement après des chocs, des accidents, ou des attaques, dont les zones concernées ne sont pas sans rapport avec tout ce dont je viens de parler. Ah, j'ai failli oublier que les zones auditives sont aussi observées comme ayant une activité atypique. Elles sont inhibées. Eeeeeet...j'oublie aussi les différences hommes-femmes. Différences dans le cerveau ? Une question d'hormones ? 

Y a plein de choses ? Trop de choses ? Et pourtant, j'ai zappé l'intégration moteur-auditive basculée droite dans les cerveaux bègues, j'ai passé sur le contrôle auditif de la parole, la copie efférente... Sachez quand même que toutes ces choses se recoupent ! 

Evidemment, il y a tout ça, qui fragilise la production de parole. Mais, il y a aussi la façon dont l'enfant et ses proches vont réagir à cette fragilité...et ça, ça n'est pas la chose la moins importante !! 

Le bégaiement commence dans le cerveau. 
Je ne le crois pas parce quelqu'un m'en a persuadé. Je le crois parce que cette hypothèse me semble, à ce jour, la mieux argumentée.
Dans le futur, les recherches et les résultats les plus attendus qui attirent le plus l'attention pour l'éternel amateur que je suis, sont celles sur les souris du Dr Drayna, auxquelles on a intégré les 3 mutations, bien sûr, et l'étude du Dr Chang sur les très jeunes enfants, qui devrait s'achever en 2016. Mais ce sont les séquoias qui cachent la forêt ! Les Allemands, les Chinois, entre autres continuent eux aussi leurs avancées...
Tiens, j'ai utilisé le mot séquoias. Ils ont fait l'objet d'un post de Laurent, récemment sur son blog, où il nous explique que ces arbres s'entraident pour grandir.
Un peu comme les chercheurs, qui s'appuient sur les travaux de leurs collègues pour avancer, toujours plus loin...

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